Scolarité

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André Stern ne juge pas paradoxal de présenter sa vision libérée de l’éducation dans des établissements scolaires, comme au Cégep Limoilou. Des profs, des pédagogues, des parents d’enfants scolarisés apprécieraient nourrir ainsi leur réflexion sur les modèles éducatifs.

 

(Québec) Ses parents ne l’ont jamais inscrit à l’école. En fait, ils l’ont laissé jouer durant toute sa jeunesse. Et il n’est pas devenu un marginal asocial inculte, jure André Stern, qui professe les bienfaits du lâcher-prise éducatif.

Pas simple de cadrer le Français de 42 ans venu visiter la rédaction du Soleil il y a peu. Lui-même refuse les étiquettes, les titres professionnels. Il est luthier, journaliste, musicien, comédien, auteur… Il est l’ensemble des passions qui l’ont guidé au fil de ses apprentissages, explique-t-il. «C’est difficile de me définir par un métier.»

En visite au Québec pour présenter quelques conférences, André Stern s’offre en exemple: la non-scolarisation fonctionne, elle est une option non seulement valable mais aussi porteuse, dit-il. Bon, avant de poursuivre, faudrait bien savoir de quoi il est question. Alors, c’est quoi la non-scolarisation? Notre interlocuteur expose succinctement les principes fondateurs: l’enfant apprendrait beaucoup mieux par le jeu, par l’expérimentation, en développant des passions, plutôt qu’assis en classe. «Le cerveau se développe là où on l’utilise avec enthousiasme. C’est la clé. Il est indispensable de la dire.»

Et ça ressemble à quoi au quotidien la non-scolarisation? «On ne peut pas décrire de journée type.» Pas de modèle, pas de recette, insiste André Stern. Chez lui, on mettait à sa disposition de nombreux livres, des jouets, des instruments de musique. Les arts étaient promus. Il a aussi pu découvrir avec des maîtres artisans le travail du métal et la lutherie. Lorsqu’il en a ressenti le besoin, il a assisté à des cours divers «en auditeur libre», sans participer à des évaluations.

Par ses expérimentations, ses recherches, le petit André a exploré les mathématiques, la lecture, l’écriture. Une forme d’apprentissage par projets dont le rythme est donné par l’enfant, pas par les parents; l’enfant apprend seul, quand il le veut.

Attention, prévient André Stern, la «non-scolarisation» n’est pas «l’école à la maison» – lui utilise les termes anglais prononcés à la française – le unschooling n’est pas le homeschooling. Ses parents ne l’ont pas scolarisé à la maison, ne se sont pas placés «à la place des enseignants».

Loin du programme étatique d’éducation, il n’a pas engrangé les notions courantes au même âge que les écoliers. Ainsi, par exemple, il évalue que la lecture a été vraiment intégrée vers huit ans, mais que des compétences très variées ont été développées précocement.

«J’ai tout appris comme vous avez appris votre langue maternelle. Personne ne s’assoit pour dire: « Voici la leçon numéro 1. »» Quand il est tombé amoureux des langues, papa et maman l’ont laissé batifoler durant des heures, des jours, seulement avec les mots. «Au bout de 50 minutes, personne n’est venu me dire: « Maintenant, c’est fini pour l’allemand, c’est le temps pour les mathématiques. »» Même logique lorsque son coeur s’est tourné vers les locomotives, puis les voitures, puis les jeux de blocs motorisés…

Puisqu’on ne sait trop l’impact d’une vie de jeu, l’autoproclamé «enfant de 42 ans qui n’est jamais allé à l’école» témoigne maintenant de son expérience. Dans un livre d’abord, publié en Allemagne et en France: … Et je ne suis jamais allé à l’école. Histoire d’une enfance heureuse (Actes Sud). Puis dans les conférences qu’il livre en Europe, maintenant au Québec à l’occasion de cette première visite.

André Stern souhaite que les parents de jeunes enfants sachent qu’il existe «une multiplicité de choix» pour l’éducation de leur progéniture, incluant l’inscription à l’école du quartier: «Je ne suis pas l’ennemi scolaire numéro 1.» Il évalue néanmoins que le réseau éducatif organisé n’a pas su répondre adéquatement aux besoins des petits. L’auteur manie habilement la formule: «On a proposé des méthodes d’éducation alternatives, mais pas d’alternative à l’éducation.»

On aura compris qu’il croit vraiment aux bienfaits de la non-scolarisation. Son fils de trois ans n’ira d’ailleurs pas à l’école. Il jouera.

Papa Stern est si convaincu qu’il a fondé un «mouvement», l’écologie de l’éducation, qui «s’attache à retrouver les dispositions spontanées de l’enfant, oubliées de nos jours, écrasées par le poids d’un enseignement artificiel, de rythmes contre nature et d’une compétition destructrice».

Le terre à terre signalera néanmoins que le monde du travail affectionne les diplômes, les sanctions officielles, les parcours reconnus. Et qu’il faut bien gagner des sous pour payer les factures. «L’argent n’a jamais été un problème», laisse tomber André Stern. Pas qu’il ait hérité d’une fortune familiale qui le place à l’abri des soucis propres aux masses, assure-t-il. Plutôt parce que son couple a fait le choix d’une vie simple. «Nos besoins sont relativement réduits.»

Les passions nourries au fil des ans ont mené à des boulots, ajoute-t-il. Il y a deux ans, il était luthier artisan. Maintenant, son désir de raconter la non-scolarisation lui permet de vivre de ce nouvel intérêt grâce aux ventes de livres et aux conférences.

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Plusieurs obstacles sur la route

La non-scolarisation impose une restructuration familiale, l’enfant étant à la maison à temps plein. «C’est énormément de travail», avertit la présidente de l’Association québécoise pour l’éducation à domicile, Marike Reid-Gaudet. «Ça nécessite un environnement très stimulant.»

L’investissement est tel que, souvent, un des parents abandonne son boulot pour se consacrer à la tâche. Sinon, papa et maman se partagent la semaine, travaillent à temps partiel.

Son grand de 17 ans n’a jamais suivi de programme scolaire officiel… jusqu’à maintenant. Il a finalement décidé de s’inscrire au collège avec l’objectif de compléter un parcours d’historien à l’université. Mais c’est son choix, pas celui des parents, insiste Mme Reid-Gaudet. D’autres jeunes non scolarisés deviennent entrepreneurs, travailleurs autonomes, etc. Pas de plan de match préétabli, donc.

Les familles qui se lancent dans l’aventure de la non-scolarisation doivent aussi s’attendre à un certain rejet, à un élagage dans la liste des proches, des connaissances, des amis, convient Édith Chabot, dont les deux gars n’ont pas fréquenté l’école. L’incompréhension est souvent trop vaste.

Aussi, il peut être difficile pour certains jeunes non scolarisés de se bâtir un réseau d’amis de leur âge. Son plus jeune, Jérôme, 15 ans et demi, a ressenti de la répudiation de la part des autres parents qui tentent de le convaincre de rentrer dans le rang. Certains interdisent les relations amicales quand leur progéniture, séduite par une vie de «jeu», ne veut plus fréquenter l’école. «C’est la peur de l’inconnu», analyse l’adolescent.

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1032: estimation du nombre d’enfants scolarisés à la maison, selon un décompte réalisé en 2010 par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. L’Association québécoise pour l’éducation à domicile évalue plutôt qu’ils sont 8000, puisque plusieurs ne seraient pas déclarés aux commissions scolaires.