Saviez-vous que certains aliments sont irradiés, en toute légalité, avant d’être consommés ?
L’irradiation des aliments, officiellement appelée « ionisation », est une technologie nucléaire qui consiste à soumettre un aliment à des rayons gamma (générés par une source radioactive, du cobalt 60 et parfois du cesium 1371 ), à des rayons X ou à des faisceaux d’électrons à très haute énergie2.
Ce procédé, inventé au milieu des années 1940 par des français permet de détruire certains micro-organismes et insectes, mais aussi de ralentir le mûrissement, inhiber la germination et mieux conserver les aliments : l’irradiation permet ainsi le transport sur de longues distances et le stockage de longue durée, toutes choses que les industriels adorent.
Les risques pour l’homme
L’irradiation des aliments ne rend pas l’aliment radioactif. Cependant, de plus en plus de scientifiques s’interrogent sur de possibles risques de cancérogénèse et de mutagénèse3. En effet l’ionisation des aliments peut faire apparaître dans ceux-ci des composés appelés cyclobutanones, qu’on ne trouve pas dans les aliments non ionisés. De très nombreuses études scientifiques ont montré que chez l’homme ces composés créent des dommages aux cellules et aux gènes4. Enfin, après exposition aux rayons gamma on obtient d’autres composés tels que les radicaux libres, le benzène ou le toluène : ces composés sont connus pour favoriser l’apparition de cancers, maladies cardio-vasculaires…. Les radicaux libres, en particulier, sont très réactifs et cherchent naturellement à se recombiner. Soit ils se recombinent de manière à reconstituer la molécule originelle, soit de manière aléatoire, formant ainsi de nouvelles molécules, les produits néoformés. « Le problème, c’est qu’il est très difficile de savoir quelles sont les molécules en question. Et donc, il est pratiquement impossible d’en étudier l’éventuelle toxicité« alerte Roland Desbordes, président de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (Criirad) et membre du Collectif contre l’irradiation des aliments5.
L’autre problème de l’irradiation, c’est qu’elle est susceptible d’être utilisée comme substitut à de vraies méthodes sanitaires de production. En effet, certaines bactéries sont très utiles puisqu’elles agissent sur l’apparence des aliments (pourrissement, odeur) et permettent ainsi aux consommateurs de repérer les aliments douteux. Les aliments irradiés paraissent sains, mais ne le sont pas toujours… L’irradiation peut alors servir à masquer au consommateur des produits trop vieux, qui ne devraient plus être consommés.
Enfin, l’irradiation provoque une perte d’éléments nutritifs et de vitamines, notamment A, B1, B6, B12, C, E, K, PP et acide folique6. Elle pourrait détruire jusqu’à 80% de la vitamine A des œufs et 48% du béta-carotène du jus d’orange4.
Même l’Agence Canadienne d’Inspection des Aliments responsable de ces questions reconnaît dans sa FAQ (pourtant étudiée pour être rassurante au possible) que « l’irradiation entraîne des modifications chimiques » et que « certains aliments irradiés peuvent avoir un goût légèrement différent »7.
Même si nous sommes d’accord pour dire que ce qui est observé chez un animal ne sera pas forcément transférable à l’homme, le cas des aliments pour chats australiens fait froid dans le dos : au pays des kangourous, l’irradiation des aliments pour animaux a longtemps été obligatoire, pourtant une firme a retiré du marché en 2008 ses produits de la marque Orijen destinés aux chats. Les inspecteurs du groupement de vétérinaires australiens ont relevé des troubles neurologiques sur une centaine de chats nourris avec ces aliments copieusement irradiés. Trente félins au moins en sont morts… L’obligation d’irradiation a depuis été levée8.
Les risques environnementaux
Sur le plan environnemental, les risques sont les mêmes que ceux liés au fonctionnement de toute installation nucléaire, mais aussi au transport de matières nucléaires.
De plus, l’irradiation rend possible des modes de production et de distribution industriels très délocalisés puisque le transport des produits irradiés n’est plus un problème du fait de leur longue conservation. Des modes de production qui favorisent la pollution.
Que disent les lois à travers le monde ?
L’usage de l’irradiation des aliments se développe à travers le monde. Une soixantaine de pays l’autorisent, et plus de trente pays la pratiquent. On assiste à une véritable explosion du nombre des installations d’irradiation dans les pays à fort développement (Chine, Inde, Mexique, etc.), tandis que les Etats-Unis signent des accords bilatéraux spécifiques pour l’échange de produits irradiés.
Le Codex alimentarius, référence pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC), autorise l’irradiation pour tous types de produits alimentaires, en se référant à des avis et rapports de la commission FAO-AIEA-OMS. Nous sommes clairement ici en présence d’un cas de lobbying avéré : l’AIEA9 a pour mission de promouvoir les usages pacifiques du nucléaire10 …
Si l’on prend l’exemple du Canada, les lois en vigueur permettent pour l’instant l’irradiation de ces produits : oignons, pommes de terre, blé, farine, farine de blé entier, épices entières ou moulues et assaisonnements déshydratés11. Mais il est question d’étendre cette autorisation à la mangue, à la crevette, à la volaille et au bœuf haché12. Miam, la viande industrielle du pays de l’érable, aux hormones et antibiotiques, probablement nourrie au maïs et soja OGM, pourra bientôt être irradiée en bout de chaîne.
Que dit la loi en Europe ?
Dans l’Union européenne, deux directives déterminent la liste des produits pour lesquels l’irradiation est autorisée : herbes aromatiques séchées, épices et condiments végétaux. Il y a par ailleurs obligation d’étiquetage : un logo existe pour informer le consommateur, mais qui le connaît ?
Comme le fait très justement remarquer un blogueur canadien qui s’est penché sur cette question13, « aucune campagne n’a été faite auprès de la population afin de faire connaître cette initiative fort questionnable de l’industrie agricole et de l’industrie nucléaire. Entre vous et moi, ce logo donne beaucoup plus dans la plante verte que dans l’irradiation. Ça presque l’air d’un produit écologique pour nettoyer mon plancher. »
En Europe, les aliments qui ont subi cette irradiation doivent aussi présenter la mention « Traité par ionisation » ou « Traité par rayonnement ionisant » sur leur étiquetage, ce qui n’est pas le cas d’autres pays qui exportent leurs produits ionisés dans la plus grande opacité pour le consommateur.
Bien sûr, tout traitement ionisant est interdit en agriculture biologique.
Que dit la loi en France ?
Des dérogations à la loi européenne existent dans les différents pays de l’Union. Huit Etats membres de l‘Union européenne autorisent l’irradiation d’aliments autres que les trois catégories spécifiées par l’Europe : la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Tchéquie, la Hongrie et l’Italie.
La France autorise ainsi l’irradiation de nombreux produits supplémentaires : oignon, ail, échalote, légumes et fruits secs, flocons et germes de céréales pour produits laitiers, farine de riz, gomme arabique, volaille, cuisses de grenouilles congelées, sang séché et plasma, crevettes, ovalbumine, caséine et caséinates (additifs alimentaires).
Il existe en France six unités d’irradiation agréées. Trois procèdent à l’irradiation par rayons gamma (cobalt 60). Elles sont situées à Marseille, Dagneux, et Sablé-sur-Sarthes. Les autres procèdent par électrons accélérés : Chaumesnil, Orsay (aujourd’hui fermée), Berric. L’entreprise Ionisos SA, détient quatre des six unités. Gammaster Provence SA et Radient Ouest gèrent les deux autres.
Avec plus de 3 100 tonnes en 2005 et 2 139 en 2007, la France est le troisième pays de l’Union Européenne à traiter des aliments par irradiation derrière la Belgique et les Pays Bas, d’après les chiffres (en baisse) de l’Afssa et la Commission européenne
S’ajoutent bien sûr les aliments irradiés importés des 34 Etats non membres de l’UE qui pratiquent l’irradiation. Parmi ceux qui ont autorisé l’irradiation d’un nombre élevé de produits, on peut citer l’Afrique du Sud, le Brésil, la Turquie, les USA, le Ghana, la Fédération de Russie, l’Inde, le Mexique et la Croatie6.
Il y a environ 3 000 tonnes d’aliments irradiés en France8 . Le dernier rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur l’irradiation des aliments, en 2007, évoque l’innocuité de cette technologie nucléaire, ce que conteste le Collectif français contre l’irradiation des aliments.
Quel volume d’aliments irradiés, et quels contrôles ?
Au niveau européen, environ 40 000 tonnes d’aliments ont été irradiés en 2003, soit une multiplication par deux (20 000 tonnes environ pour 2002). Je n’ai pas trouvé de chiffres plus récents que ceux-ci.
Dans l’hexagone, les quelques contrôles réalisés montrent une augmentation continue des produits irradiés commercialisés illégalement, jusqu’à 7 % en 2005 et 10 % en 2006.
Surtout, le laxisme en matière de contrôle semble être la règle. En France, seuls 216 échantillons ont été contrôlés en 2006, avec un taux de fraude de 14,8 % ! En 2007, on passe à seulement 117 échantillons (taux de fraude : 5,13 %). Un très faible échantillonnage qui ne permet pas de juger de la situation correctement.
L’Allemagne, qui irradie dix fois moins que la France, a prélevé de son côté 3 744 échantillons la même année… Ils ont révélé un taux de fraude de seulement 1,47 %. Le Collectif contre l’irradiation des aliments ne mâche pas ses mots envers nos gouvernements successifs : « On mesure, à cet écart, le professionnalisme de l’État français qui devrait plutôt s’inspirer de la rigueur germanique avant de délivrer des avis sous forme de « tranquillisants sanitaires » pour faire face à l’anxiété des consommateurs devant leur assiette. »
Roland Desbordes rapporte ce cas :
Dernièrement, nous avons pu repérer la mention « Pasteurisation à froid » sur certains jus de fruits vendus à la terrasse des cafés. Cette appellation (autorisée aux Etats-Unis) désigne clairement le traitement par « rayonnements ionisants » mais elle est illégale en France… Il s’agit visiblement d’une traduction de l’étiquette par des intermédiaires peu au courant de la législation. Le consommateur aurait dû lire « traité par rayonnements ionisants ». Nous avons alerté la DGCCRF (la répression des fraudes) à ce sujet, lors d’un entretien que nous avons eu avec eux début janvier. Cela n’avait même pas attiré leur attention et ils ont été totalement désarmés par notre interrogation !
Le problème, c’est que « de façon générale, les contrôles au stade de la commercialisation sont incohérents, disparates, variant d’une année à l’autre et d’un pays à l’autre, et sans règles communes, ce qui rend une réelle évaluation quasiment impossible » selon le Collectif contre l’irradiation des aliments.
La libre circulation des marchandises au sein de l’espace Shengen facilite évidemment les dérives. Conclusion, même si l’étiquetage est obligatoire, le consommateur a peu de moyens de savoir si un aliment a été irradié.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Selon internationalnews.fr, remarquablement renseigné sur le sujet, « c’est du côté du dogme de l’hygiénisme qu’il faut chercher l’alibi d’une telle pratique ». Outre le ralentissement du mûrissement, l’arrêt de la germination, le transport longue distance et le stockage de longue durée facilités, bien sûr.
L’hygiénisme, qu’est-ce que c’est ? Tout simplement la version extrémiste de l’hygiène, qui entend exterminer tout microbe, bactérie, virus ou champignon en oubliant qu’ils ne sont pas tous pathogènes, que certains peuvent être anodins voire même utiles… On nous vend l’ionisation comme une mesure supplémentaire pour nous protéger. Mais des aliments obtenus et transportés avec bon sens ne sont ni contaminés ni dangereux. Mieux, de simples mesures d’hygiène permettent d’éviter les intoxications : cuisson, choix d’aliments frais, respect des dates de consommation8…
Les actions contre l’irradiation
En 2005, le Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures (MDRGF) a manifesté devant des usines d’ionisation des aliments avant de donner une conférence sur ce problème14.
La même année, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD15 ) lance une campagne « Pas de radioactivité dans nos assiettes »16 assortie d’une pétition. Ils parviennent à se faire entendre au niveau européen17, retardant ainsi l’adoption de la nouvelle réglementation autorisant le commerce international des aliments dits « contaminés par des radionucléides artificiels ». Hélas, en 2006, toute la procédure est accélérée18 (la commission du Codex en saute même des étapes) est parvient à son terme l’année suivante.
En 2007, le Collectif français contre l’irradiation des aliments interpelle quatre commissaires européens et quatre ministres français, en s’appuyant sur sa lecture critique du rapport de l’Afssa et sur des questions à la DGCCRF. Seul Michel Barnier, le ministre de l’Agriculture de l’époque, a répondu. Il n’a cependant apporté aucune réponse concrète.
EN 2010, plus de 35 associations écologistes ont fait parvenir une lettre ouverte aux parlementaires européens, leur demandant de « réellement évaluer l’ensemble des risques liés à l’irradiation des aliments19 ».
Et moi, je fais quoi ?
Vous êtes contre l’irradiation des aliments ? Vous pouvez agir de plusieurs manières :
- En soutenant l’action de ces mouvements, collectifs, et associations qui luttent contre l’ionisation (liste non exhaustive) : Action Consommation – Adéquations – Agir Pour l’Environnement – Les Amis de la Terre – Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs – Association pour l’Information sur la Dénaturation des Aliments et de la Santé (AIDAS) – ATTAC – Biocoop – Collectifs Bure-Stop – Confédération Paysanne – CRiiRAD – Ecoforum – Ekwo – Fédération Nature et Progrès – Food and Water Watch Europe – Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures (MDRGF) – RECit (Réseau des écoles de citoyens) – Réseau “Sortir du nucléaire”.
- En évoquant ce problème, bien trop méconnu, autour de vous. La chance des entreprises qui ont recours à ces procédés douteux, c’est que le grand public n’en sait rien.
- Et bien sûr en achetant des produits bio, autant que possible. Dépensez votre argent dans des ressources alimentaires respectueuses de la planète et de votre santé.
Avez-vous déjà acheté des abricots secs ? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi ces derniers sont toujours aussi orange alors qu’ils sont supposés être… secs ? C’est, au choix, l’irradiation1 ou bien un traitement au soufre20 qui a permis à l’abricot de conserver sa couleur orangée, là où un abricot sec bio a viré au brun… et est resté délicieux.