Dette, Droits de l’homme et Migrations

Dette, Droits de l’homme et Migrations

26 décembre 2006 par Roseline Péluchon , Véronique Racine

 

Selon le credo de l’économie mondialisée et libérale, les marchandises doivent pouvoir circuler librement dans un monde « ouvert ». Il n’en est pas de même pour les humains et l’actualité nous en donne la preuve régulièrement. La dette et les plans d’ajustement structurel qui en ont été la conséquence, ont déstructuré les économies et la vie sociale des pays qui en sont les victimes, au mépris des plus élémentaires droits de l’Homme. Dans cet exposé nous établissons le lien entre la dette et les migrations et, si nous demandons une annulation totale et inconditionnelle de la dette, nous nous positionnons aussi fermement pour la liberté de chacun de circuler et de s’installer à l’endroit de son choix.

HISTORIQUE DE LA DETTE

Qu’est-ce que la dette, quel est le rôle des institutions financières internationales et des Etats du Nord ?
La dette est un outil dont se servent les institutions financières internationales et les Etats du Nord pour imposer une même logique économique et financière qui génère et maintient dans une extrême pauvreté des régions entières qui possèdent pourtant d’énormes richesses. Elle est la conséquence de choix géopolitiques ou géostratégiques des pays riches afin de subordonner les pays pauvres à l’idéologie dominante.

La dette totale de l’ensemble des pays en voie de développement est de 2800M$, pour 85% de la population mondiale, c’est à dire 5 milliards d’individus. Il faut mettre cette somme en parallèle avec le montant de la dette des USA qui est 36 000 Milliards $ pour 300 millions d’individus, et la dette totale mondiale est de 60 000 milliards de dolloars. On voit donc que la dette des pays en voie de développement est une somme dérisoire en matière de finance mondiale et pourtant la dette et les institutions financières internationales tuent en masse : selon le PNUD, 30000 enfants meurent chaque jour de causes qui auraient pu être évitées s’ils avaient eu accès aux soins.

Les pays du Sud ont été poussés à s’endetter dans les années 60 et 70 sous la pression de 3 acteurs : les banques, les institutions financières internationales et les Etats du Nord. Chacun d’eux avait intérêt à ce qu’ils s’endettent.

Dans les années 60, les banques occidentales regorgent d’eurodollars issus du plan Marshall,pour lesquels elles recherchent des débouchés : les Pays du Sud sont justement à la recherche de fonds pour financer leur développement, notamment les pays d’Afrique qui viennent d’acquérir leur indépendance et les pays d’Amérique latine. Au moment du choc pétrolier de 1973, les pays producteurs de pétrole placeront leurs dollars dans les banques occidentales qui prêteront aussi ces pétrodollars aux pays du Sud. Ces prêts des banques privées aux pays du Sud constituent la part privée de la dette.
Au même moment, le choc pétrolier provoque une période de récession dans les pays du Nord. Le chômage et la baisse du pouvoir d’achat font que les marchandises produites au Nord ont du mal à trouver des acheteurs. Les pays riches décident alors de prêter aux pays du Sud afin de trouver des débouchés à leurs marchandises. C’est le plus souvent une aide liée : un pays du Nord prête à un pays du Sud qui en échange lui achète ses marchandises. C’est la part bilatérale de la dette, dette d’Etat à Etat.
Enfin, le troisième acteur de la dette est la Banque Mondiale. Fondée en 1944, elle passe en 1968 sous la présidence de Robert McNamara. Celui-ci va utiliser la Banque Mondiale pour contrecarrer l’influence soviétique et les tentatives nationalistes que l’on voit naître dans certains pays nouvellement indépendants.De 1968 à 1973, la Banque mondiale va accorder davantage de prêts que pendant toute la période 1945-1968. Ces prêts sont accordés pour soutenir les alliés stratégiques des Etats Unis(Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie, les dictatures au Brésil puis en Argentine et au Chili), ou pour soumettre les pays qui tenteraient d’obtenir leur indépendance économique (Nasser en Egypte, Sukarno en Indonésie…). Ils constituent la part multilatérale de la dette.

Au tournant des années 80, les règles du jeu vont changer et précipiter les pays du Sud dans la crise de la dette.
Fin 1979, Paul Volcker, le directeur de la Réserve Fédérale américaine,décide une forte augmentation des taux d’intérêt américains afin de relancer la machine économique américaine en attirant les capitaux. Les pays du Sud avaient emprunté à des taux faibles, mais indexés aux taux américains, et voient brusquement leurs taux d’intérêt passer de 4-5% dans les années 70 à 16-18%. A la même période, les cours des matières premières s’effondrent. Afin de rembourser les prêts, les pays du Sud doivent se procurer des devises par leurs exportations. Ils produisent de plus en plus pour exporter plus : café, cacao, coton, sucre, minerais, etc… arrivent en masse sur le marché mondial, en même temps que la récession au Nord diminue la demande provoquant une baisse des cours.
La hausse des taux d’intérêt décrétée unilatéralement au nord et l’effondrement des cours des matières premières, ont précipité les pays endettés dans la crise de la dette.
Dès 1982, 14 pays se déclarent en cessation de paiement, c’est à dire incapables à la fois de gérer leur quotidien et de rembourser leur dette. A ce moment les 7 pays les plus riches de la planète mandatent le Fond monétaire international, institution financière issue des accords de Bretton Woods comme la Banque mondiale, pour qu’il mette en place les moyens pour assurer les remboursements : ce sont les fameux Plans d’ajustement structurel.
Il est important de noter qu’au sein des institutions financières internationales, les 9 pays les plus riches ont 50% des voix (dont plus de 15% pour les USA, ce qui leur octroie une minorité de blocage) tandis que les 45 pays africains se partagent à eux tous environ 5% des voix ! Les Etats du Nord sont donc bien les vrais décideurs au sein des institutions financières internationales.

La dette a été le prétexte pour imposer aux pays du Sud les plans d’ajustement structurel qui ont semé misère et pauvreté et ont déstructuré toute organisation collective et sociale.

PRINCIPALES MESURES CONTENUES DANS LES PLANS D’AJUSTEMENT STRUCTUREL ET CONSEQUENCES SUR LES DROITS DE L’HOMME

Rappelons d’abord 3 articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Article 25

Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

Article 26

Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.

Article 28

Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet.

Les objectifs poursuivis par les programmes dits d’ajustement peuvent se résumer ainsi : assurer le paiement régulier de la dette, ouvrir tous les domaines d’activité d’un pays aux relations marchandes et au capitaux étrangers, prémunir les transnationales contre toute mesure de nationalisation et contre toute contrainte spécifique imposée par un pays donné. Mais nulle attention à la satisfaction des besoins élémentaires des citoyens concernés. De plus, les mêmes « recettes » sont appliquées à l’échelle planétaire, sans tenir compte des différences de conjonctures, économique, historique, ou politique des pays concernés. Nous allons détailler ces mesures.

1. Abandon des subventions aux produits et services de première nécessité

Le Fond monétaire international et la Banque mondiale exigent la suppression des subventions qui permettent de maintenir à un prix abordable pour les plus pauvres la nourriture de base et d’autres biens et services vitaux. Le prix des aliments de base (huile, sucre, riz, lait, etc…) augmente, ainsi que celui du combustible servant à leur préparation mais aussi à l’acheminement vers les marchés des produits agricoles dont les prix de vente répercutent cette hausse. Cela compromet donc le droit à l’alimentation et l’accès à l’eau potable.
On a ainsi assisté en 91 au Pérou à une multiplication par 12 du prix du pain en une nuit ; en Zambie en 86, le prix des denrées alimentaires a été augmenté de 120%. Ces mesures sont à l’origine de nombreuses « émeutes de la faim »,en 89 au Venezuela ou en Jordanie, en 91 au Pérou, en 99 en Côte d’Ivoire, en 2005 au Niger.

2. Diminution drastique des dépenses publiques afin d’atteindre l’équilibre budgétaire

C’est ce que l’on appelle en France « mesures d’austérité budgétaire », frappant toutes les catégories de dépenses publiques : coupes franches dans les budgets sociaux (éducation, santé, logements, infrastructures), gel des salaires et licenciements dans la fonction publique. Les institutions financières internationales insistent sur le principe de « recouvrement des coûts » auprès des utilisateurs des services publics et au désengagement de l’Etat par rapport aux services de base, la santé et l’éducation. Un rapport de l’UNESCO de 1996 montre qu’en Afrique Subsaharienne, le pourcentage d’enfants de 6 à 12 ans scolarisés est tombé de 55% en 79 à 45% en 95.
Et pourtant l’article 26 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme stipule que toute personne dispose du droit à l’éducation.
Réduction donc des budgets sociaux, mais pendant ce temps, les Etats continuent à payer la dette, et l’on arrive à des répartitions budgétaires telles que 40% du budget des pays en voie de développement sont consacrés au service de la dette contre 4 à 15% aux services sociaux de base.

Cela compromet aussi le droit à la santé, au logement et à un emploi. De plus, en imposant leurs choix économiques aux pays, les institutions financières internationales privent leur population de leur droit à la souveraineté.

3. Dévaluation de la monnaie

La dévaluation a pour fonction de rendre les produits locaux qui sont exportés moins chers et donc plus compétitifs sur le marché mondial. Cependant, pour récupérer la même quantité de devises, il faut vendre davantage, ce qui profite surtout aux grandes plantations commerciales ou aux exportateurs agro-industriels. D’autre part, il se peut que plusieurs pays effectuent la même opération en même temps, se mettant en concurrence et gommant les gains qui auraient pu être obtenus. Dans le même temps, la dévaluation fait que les produits importés deviennent plus chers, les rendant inabordables aux plus démunis. De plus, on a pu voir que ces dévaluations constituent un encouragement à la spéculation contre la monnaie nationale : les riches vendent la monnaie nationale pour acheter des devises ou placent les capitaux à l’étranger avant la dévaluation, pour les rapatrier après, engrangeant les bénéfices.

4. Augmentation des taux d’intérêt pour attirer les capitaux étrangers

Le problème est que, le pays étant en crise, les capitaux étrangers ne viennent pas, ou alors viennent en vue d’une spéculation à court terme,ce qui peut entraîner, en cas de spéculation immobilière, une hausse des prix des logements ou des terrains, limitant encore l’accès au logement.
D’autre part, les petits producteurs ou les petites entreprises qui empruntent pour acheter leurs semences, herbicides, machineries,etc… voient leur capacité d’emprunt diminuée, ce qui entraîne une chute de la production, ou se voient étranglés par des prêts impossibles à rembourser, ce qui entraîne des faillites et donc augmente le chômage.

5. Production agricole tournée vers l’exportation au détriment des cultures vivrières

Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les pays en voie de développement doivent accroître leurs exportations et sont incités à abandonner les cultures vivrières traditionnelles destinées à l’alimentation des populations. Elles sont remplacées par un ou quelques produits agricoles d’exportation (soja, café, cacao), ou une ou quelques richesses minières ou l’exploitation d’une activité primaire comme la pêche. Dans 20 pays africains, 1 seul produit de base compte pour 60% des exportations. La fragilité de l’économie s’en trouve accrue car dépendante du cours de cette ressource sur le marché mondial. Et localement, l’abandon des cultures vivrières traditionnelles accroît les déséquilibres alimentaires. Il est frappant de noter que selon le dernier rapport de la FAO, les paysans sont les plus touchés par la malnutrition (« 70% de ceux qui ont faim dans le monde vivent en milieu rural » selon la FAO).

D’autre part la recherche d’un accroissement continu de la production (pour faire entrer les devises, pour rembourser la dette) entraîne des dégâts écologiques tels la déforestation, l’érosion des sols et l’atteinte à la biodiversité, ceci constitue une atteinte au droit à un environnement sain.

Les taux moyens de croissance annuelle de la production vivrière par habitant ont été négatifs entre 1979 et 1997. Un exemple l’illustre parfaitement : au Malawi, qui était autrefois un exportateur net de produits alimentaires, la production de maïs a chuté de 40 % en 1992, mais la production de tabac a doublé entre 1986 et 1993.

6. Ouverture totale des marchés par la suppression des barrières douanières

Le but officiel est de favoriser les consommateurs en faisant baisser les prix sur le marché local. Mais en fait cela permet surtout aux multinationales étrangères mieux armées financièrement et technologiquement, souvent subventionnées dans leur pays d’origine, de conquérir des parts de marché et de s’imposer, provoquant la disparition des producteurs locaux. Un exemple : depuis 1999, les importations de poulets congelés en provenance d’Europe augmentent chaque année de près de 20% en Afrique, entraînant la ruine des petits producteurs locaux.

Le mouvement paysan international Via Campesina réclame le droit des populations à définir leur politique agricole et alimentaire, incluant le choix d’une agriculture respectueuse des besoins des populations et de l’environnement.

7. Libéralisation de l’économie, suppression du contrôle des mouvements de capitaux et du contrôle des changes

Elle vise à ouvrir totalement les économies des pays en voie de développement aux investissements, aux produits et services des multinationales des pays du Nord, afin de répondre à leurs desiderata de produire ce qu’elles veulent, où elles veulent et de rapatrier leurs bénéfices sans aucun obstacle et sans aucune retenue.
Rapatriements vers les banques du Nord des profits par les multinationales implantées dans les pays en voie de développement, mais aussi « délocalisations » des capitaux des riches des pays en voie de développement vers les pays du Nord, au lieu de les investir dans les économies locales, création de « bulles » spéculatives boursières ou immobilières comme en Asie du Sud Est dans les années 90. Dès les premières difficultés économiques, les capitaux repartent, en déstabilisant le pays qu’ils fuient.

Elles favorisent aussi les mouvements de fonds en rapport avec les activités illégales et criminelles (et parmi elles, le trafic des êtres humains dont le chiffre d’affaire annuel est estimé à plus de 12 millions d’euros). Le blanchiment de l’argent sale est facilité par ces réformes. Bel exploit pour des institutions financières internationales qui prônent la lutte contre la corruption !

A titre de comparaison, en 2003, ces rapatriements de profits par les filiales de multinationales installées en Afrique subsaharienne vers leur maison mère se sont élevés à presque autant que l’ensemble des investissements étrangers sur le continent (8,5 milliards de dollars). Elles reprennent d’une main ce qu’elles donnent de l’autre… Ceci revient à l’appropriation des matières premières par les multinationales : pour citer un exemple, la compagnie TOTAL FINA ELF rapporte 12 milliards d’euros à l’Europe, ce qui représente le double des subventions de l’aide au développement.

8. Adoption d’une TVA élevée qui aggrave encore les inégalités

La suppression de barrières douanières diminue les recettes fiscales de l’Etat, qui adopte alors une fiscalité élargie : abandon de la progressivité de l’impôt, TVA généralisée pénalisant une fois encore les plus pauvres et baisse de l’impôt sur les sociétés. Les augmentations de la TVA sont régulièrement à l’origine d’émeutes anti-FMI |1|.

9. Privatisation massive des entreprises publiques et en particulier les secteurs dits rentables

Cette privatisation est toujours liée à la renégociation de la dette. Elle consiste surtout en une vente à prix bradés des entreprises publiques, profitant aux multinationales ou aux proches du pouvoir. L’argent récolté passe directement au remboursement de la dette au lieu d’être mis au service des besoins de la population. Ces ventes au privé s’accompagnent de licenciements massifs et de réduction des services essentiels auxquels les populations avaient accès (chemins de fer, soins de santé, eau potable…).
Point crucial, l’État perd le contrôle d’éléments stratégiques pour le développement et pour le bien-être des populations locales.

En conclusion, citons un extrait du rapport de Fantu Cheru, expert indépendant à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU en 1999 :
« Il y a près de deux décennies que l’application à grande échelle de Plan d’ajustement structurel a débuté d’un bout à l’autre du Sud, et 20 ans constituent une période assez longue pour qu’on puisse avoir une idée de leur efficacité en terme de développement socioéconomique global. L’expérience montre que les politiques d’ajustement structurel ne sont pas compatibles avec les impératifs du développement à long terme des pays en développement. Les faits réfutent l’argument de la Banque mondiale et du Fond monétaire international selon lequel les Plans d’ajustement structurel font reculer la misère et renforcent la démocratie. Au contraire, les Plans d’ajustement structurel ont été conçus selon les principes du laisser-faire qui privilégient, au détriment des libertés civiles et de l’autogestion, l’efficience, la productivité et les groupes participant au commerce d’exportation et à l’échange international. D’un continent à l’autre le bilan est le même : malgré deux décennies de politiques d’austérité, aucun des pays qui s’y sont soumis n’a connu de retournement ; les niveaux de vie de la majorité a fortement diminué. La réforme était nécessaire pour donner satisfaction à des créanciers extérieurs qui exigeaient que le service de la dette soit assuré mais n’a pas profité à un développement axés sur l’être humain. La plupart ont au contraire replongé dans des inégalités croissantes, la dégradation écologique, la désindustrialisation et la misère. »

Malgré les objectifs officiels des prêts d’ajustement, la dette a augmenté et les données recueillies montrent que les Plans d’ajustement structurel compromettent les droits humains fondamentaux sociaux, économiques et politiques (dont le droit au travail, à l’alimentation, au logement, à la santé ,à l’éducation et au développement). La dette et les Plans d’ajustement structurel ont donc des effets désastreux sur les conditions de vie des populations du sud et alimentent ainsi les flux migratoires.

MIGRATION ET MODELE ECONOMIQUE

Même si les migrations ont aussi d’autres motivations, culturelles par exemple, elles sont essentiellement liées au modèle économique qui résulte de l’action des institutions financières internationales, par l’intermédiaire de la dette. Voici comment :

Les migrations existent depuis l’aube de l’humanité et l’économie mondiale ne serait pas ce qu’elle est sans les migrations : migrations de peuplement d’abord, migration forcée de l’esclavage, migration « chair à canon » dans la lutte contre le nazisme par exemple et migration des travailleurs enfin, que l’on allait chercher dans leurs villages pour servir l’agriculture, l’industrie ou reconstruire l’Europe après la guerre. Ce n’est qu’avec la récession économique mondiale que les migrations ont été considérées comme un problème.

Nous rappelons que l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme stipule : 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

Principaux mouvements migratoires : régions d’origine, régions de destination

Nous nous sommes appuyées sur le rapport de la Commission Mondiale sur les Migrations Internationales 2005 (dont le travail a servi de support à Kofi Annan pour l’ONU) et le dernier rapport du Haut-Commissariat aux Réfugiés intitulé « Réfugiés – Tendances mondiales en 2005 », du 9 juin 2006.

En 2005, le nombre de migrants atteindrait, dans le monde, 200 millions, soit 2 fois plus qu’il y a 25 ans mais à peine 3% de la population mondiale.

Ce chiffre est en augmentation très rapide (82 millions en 1970, 175 millions en 2000), et plus rapide que celle de la population mondiale, ce qui signifie que le fait migratoire n’est pas lié à la seule démographie. La proportion de femmes a considérablement augmenté ces dernières années, elles représentent actuellement 50% des migrants.

Si 60% d’entre eux vivent dans les régions développées, 40% restent donc dans des régions peu développées ; cela signifie que « nous n’accueillons pas toute la misère du monde » contrairement à ce suggérait un homme politique français il y a quelques années pour justifier sa politique d’immigration.

L’Europe est le premier continent d’immigration (UE 18% des migrants plus ancienne URSS 17%) mais la proportion vivant en Amérique du Nord augmente, l’attraction de l’Europe diminue.

Les migrants se répartissent de la façon suivante :
- 56,1 millions vivent en Europe (y compris ancienne URSS) ; ils représentent ainsi 7,7% de la population européenne
- 49 millions en Asie
- 40 millions en Amérique du nord, représentant 13% de la population
- 16 millions en Afrique
- 6 millions en Amérique latine
- 5,8 millions en Australie

Le pourcentage de migrants vivant en Amérique du Nord et dans l’ancienne URSS a augmenté de 1970 à 2000 mais a baissé dans les autres régions du monde (passant de 23% à 18% des migrants en Europe).

Les principaux pays d’émigration sont la Chine (35 millions d’émigrants), l’Inde (20 millions) et les Philippines (7 millions).
Les principaux pays d’accueil sont les USA (20% des migrants du monde), la Fédération de Russie et l’Allemagne.

Principaux motifs de migration

« Officiellement, on distingue trois motifs de migrations : le regroupement familial, l’asile politique et le travail. Dans la pratique, les raisons familiales, économiques et politiques se mélangent souvent. Et il ne faut pas oublier que les populations les plus pauvres des pays les plus pauvres ne migrent pas car elles n’en n’ont pas les moyens. »
Il faudrait ajouter un autre motif qui n’est pas encore reconnu comme une cause « officielle » de migration mais qui ne manquera pas de l’être hélas, dans les années à venir : ce sont les causes écologiques.

1. Le regroupement familial

C’est un droit stipulé dans l’article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ».
L’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose pour sa part que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».
Ces personnes viennent donc rejoindre le plus souvent, un membre de leur famille qui a migré pour une raison économique ou politique.

2. Les migrations pour motifs politiques, liées à des régimes répressifs, à des guerres ou à des déplacements forcés

Selon le HCR, le nombre de personnes déracinées a approché en 2005 les 21 millions. Au cours des 20 dernières années, c’est l’Afghanistan qui a produit le plus grand nombre de réfugiés et c’est l’Iran qui a accueilli le plus grand nombre de demandeurs d’asiles (4,5 millions), suivi par le Pakistan. Fin 2005, à eux deux, ces pays hébergeaient 1 réfugié sur 5 dans le monde. Beaucoup de demandeurs d’asiles viennent de pays en voie de développement et sont accueillis pour les 3/4 par d’autres pays en voie de développement. Le dernier rapport du HCR note une baisse de 14% des demandes d’asile dans les pays industrialisés par rapport à l’année dernière. L’Europe ne reçoit qu’1/3 des demandes d’asile, mais reste en tête des demandes dans les pays industrialisés, devant l’Amérique du Nord. Les demandeurs sont principalement originaires de Chine, d’Irak, de Serbie-Monténégro, de Russie, et de Turquie.

Deux points à noter : on voit d’une part que ces demandeurs d’asile sont originaires de zones de conflits armés ou de dictatures et ne sont pas des migrants économiques comme les discours officiels voudraient nous le faire croire, et d’autre part on constate aussi qu’ils ne sont pas originaires des zones de conflits situés dans les régions les plus pauvres comme la République démocratique du Congo ou l’Angola. Disons le une fois encore, nous n’accueillons pas toute la misère du monde !

Le rapport du HCR signale une augmentation du nombre de « déplacés internes », personnes vivant dans des situations similaires à celles des réfugiés mais dans leur propre pays : 6,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs frontières nationales. La Colombie à elle seule compte 2 millions de déplacés. Et on pense bien entendu au Soudan, où fin 2005 le HCR dénombrait 842 000 déplacés.

Il faut rappeler ici le soutien des Institutions financières internationales aux dictatures, que ce soit en Amérique latine (Argentine, Chili…) en Afrique (Mobutu) ou en Asie. En Indonésie, la Banque mondiale a soutenu le projet de transmigration de Suharto qui a déplacé plusieurs millions de personnes, provoquant d’irréversibles dégâts humains et écologiques |2|.

3. Les migrations économiques ont deux origines

La dégradation des conditions de vie d’abord : avec les programmes d’ajustement structurel, le démantèlement des services publics, les privatisations, les « restructurations », toutes ces mesures entraînent une augmentation massive du chômage dans les pays concernés. Les dévaluations, augmentation de la TVA, suppression des subventions aux produits de bases, entraînant une hausse importante du coût de la vie, rendant inaccessibles un certain nombre de biens de premières nécessités. De plus, la dégradation du système scolaire détruit tout espoir pour les familles de voir leurs enfants accéder à une vie meilleure et enfin, la dégradation des systèmes de santé réduit considérablement l’espérance de vie.
Pour absorber la main d’oeuvre rurale, la CNUCED (Conférence des nations Unies pour le Commerce et le Développement) insiste sur l’appropriation des technologies. En 2000, on estime que les adultes des PMA avaient été scolarisés trois ans en moyenne. Moins que dans les pays en développement en 1960.

L’accroissement des inégalités entre le Nord et le Sud ensuite : il est démontré, même à partir des indices économiques dominants.
Selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), en 1975, le PIB par habitant dans les pays industrialisés était de 41 fois celui des pays à faible revenu, en 2005 il est de 66 fois supérieur !

En 2000, le PIB/habitant était de :
- Asie du Sud : 2 740$
- Europe de l’Est : 7 500$
- Amérique Latine : 6 990$
- Afrique du Nord : 5 370$
- Afrique Subsaharienne : 1750$
- Pays industrialisés : 28 500$

D’autre part, les 20% les plus riches possèdent 74% du revenu mondial tandis que les 20% les plus pauvres se partagent 2% du revenu mondial.
Enfin, soulignons aussi que plus de 550 millions de travailleurs vivent avec moins de 1$ par jour (au nord, malgré le coût élevé de la vie, les migrants gagnent 20 à 30 fois plus que chez eux).

On ne peut parler des migrations économiques sans évoquer le trafic des êtres humains, qui concernerait entre 700 000 et 2 millions de victimes et comprend les trafics de femmes et de mineurs, le proxénétisme ainsi que la traite de main d’oeuvre illégale. Il constituerait l’une des activités les plus rentables du crime organisé, avec des recettes appréciées à 12 milliards de dollars par an, trafic facilité bien entendu par le maintien des paradis fiscaux et du secret bancaire.

4. Les migrations écologiques

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se penchait récemment sur la question et estimait que « les migrations des réfugiés écologiques pourraient devenir l’un des plus grands défis démographiques du XXI siècle », avançant des chiffres de 25 millions de personnes concernées d’ici 2010.

Parmi les dégradations de l’environnement qui génèrent des déplacements de population on trouve : la déforestation, la désertification et la pollution qui sont le résultat, entre autre, d’une agriculture productiviste destinée à l’exportation. Certains dirigeants acceptent même les déchets toxiques des multinationales du Nord et empoisonnent ainsi l’avenir de leur population alors même que celle-ci est déjà privée des moyens de se soigner.

Ensuite, il y a les catastrophes dites « naturelles » dont le nombre a augmenté car elles sont en partie liées au modèle de développement actuel. On constate qu’elles font plus de victimes et de dégâts dans les pays pauvres car ils sont privés des différents moyens de prévenir et de se protéger de ces évènements.

Parmi les causes de déplacements, il y a aussi la construction de certaines infrastructures énergétiques (grands barrages, oéloducs…) qui sont des aberrations écologiques, financés là aussi par la Banque mondiale. Ces désordres écologiques sont liés aux choix politico-économiques mondiaux. Ils sont donc aussi les révélateurs de l’échec de ce modèle néolibéral.

CONCLUSION

L’évolution des migrations est pour l’essentiel liée au modèle économique néolibéral imposé au monde par les institutions financières internationales et la dette est l’outil dont elles se servent pour soumettre les populations à cette logique perverse. La preuve est que pour 1 dollar emprunté par les pays en voie de développement en 1980, ils en ont remboursé 11 à ce jour et en doivent encore 4 ! Par ailleurs, nous tenons à rappeler que les migrants ont envoyé 167 milliards de dollars vers leurs pays d’origine en 2005 ce qui représente une fois et demie l’Aide Publique au Développement mondiale.

Il faut donc annuler totalement et inconditionnellement la dette et les Plans d’ajustement structurels afin de redonner aux populations les moyens de se développer et de s’épanouir comme elles le désirent et là où elles le désirent. Notre propos n’est pas d’annuler la dette en vue de lutter contre les migrations que nous réaffirmons être un droit humain fondamental. Le phénomène migratoire est un thème sensible car il soulève des questions complexes identitaires et sociétales, et c’est la raison pour laquelle il est instrumentalisé par le personnel politique, en particulier à chaque campagne électorale.
La trop fameuse « maîtrise des flux migratoires » sert de prétexte à des pratiques discriminatoires, xénophobes et racistes mais, ne tombons pas dans le piège : la convergence entre la mondialisation, la dette et l’accroissement des migrations doit nous amener à nous interroger en priorité sur la logique même de ce système économique.

 

Notes

|1| comme au Ghana où son introduction au printemps 1995 a entraîné une hausse des prix de 60 % environ, ou au Niger en 2005

|2| cf La politique du FMI et de la BM à l’égard de l’Indonésie entre 1947 et 2003