Le microbiote intestinal

Ou la réhabilitation des bactéries de notre corps . . .

 

  De même qu’il est facile de faire soi-même des lavements et même des irrigations coloniques, lisez plutôt ceci :

La maladie vient souvent des intestins. Aujourd’hui la science est capable de transplanter totalement une flore intestinale pour guérir. Mais le plus étonnant est que vous pouvez réaliser cette greffe chez vous, sans dépenser le moindre centime. Voilà qui explique probablement pourquoi le mode d’emploi est constamment passé sous silence…

UNE MÉTHODE VIEILLE DE 1700 ANS
Le premier traité chinois de médecine d’urgence relate une curieuse méthode pour soigner des malades souffrant de diarrhées sévères ou d’empoisonnement : leur administrer, par la bouche (!), des matières fécales d’un homme en bonne santé dissoutes dans de l’eau. Cette méthode, utilisée au IVe siècle de l’ère chrétienne par un médecin traditionnel, Ge Hong, semble donner d’excellents résultats, ramenant à la vie des patients dans un état critique. La médecine chinoise a poursuivi cet emploi des excréments sous forme sèche, fraîche ou fermentée, pour traiter des maux intestinaux, la douleur ou la fièvre… Remèdes pudiquement appelés «soupe dorée» pour ne pas heurter la sensibilité des malades. Au premier abord, l’idée semble plutôt répugnante et bouscule nos repères, où tout ce qui sort de notre système digestif est considéré comme «sale» et sans aucun intérêt. Pourtant, la médecine moderne redécouvre et explore depuis quelques années cette approche thérapeutique, et des essais cliniques se déroulent dans les hôpitaux français tandis que l’acte devient courant aux États-Unis, où un demi-million d’interventions sont menées chaque année !

LES PROBIOTIQUES : PAS VRAIMENT EFFICACES ?
Mais que contiennent ces matières fécales pour être si efficaces ? Nous ne sommes pas seuls dans notre corps, nous vivons en symbiose avec des microbes – des bactéries, des virus, des levures qui, en échange du gîte et du couvert, nous aident à tirer un maximum d’énergie de nos aliments, optimisent notre système de défenses immunitaires, participent à la formation de composés indispensables à notre équilibre… Ces populations forment un microbiote que l’on retrouve sur notre peau, dans nos yeux, notre bouche, et au niveau du tube digestif, intestin grêle et côlon. Le nombre de bactéries qui y est hébergé est loin d’être négligeable : elles sont même plus nombreuses que les dix mille milliards de cellules composant notre organisme ! Les chiffres les plus récents indiquent une proportion de 1,3 bactérie pour 1 cellule1. Si leur nombre est colossal, leur diversité ne l’est pas moins : il existerait 40000 espèces différentes de bactéries susceptibles de coloniser un intestin humain. À la naissance, notre organisme en est vierge et la flore se constitue progressivement dans les premiers mois de vie. Chacun d’entre nous pré- sente un microbiote intestinal unique, composé de 500 à 1500 espèces différentes. Mais l’équilibre de cette communauté microbienne est fragile et peut être altéré par différents facteurs comme l’alimentation, la prise de médicaments, l’apparition d’une maladie… L’impact des antibiotiques est particulièrement redoutable car il réduit le nombre d’espèces présentes.

Ce rôle fondamental de la flore intestinale a contribué à l’essor des probiotiques, ces compléments alimentaires de bactéries vivantes. Mais les résultats de ces compléments sont très inégaux : efficaces sur des pathologies simples, ils ne donnent pas de résultats significatifs face aux maladies plus complexes dans lesquelles l’intestin est impliqué : maladies auto-immunes, rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, côlon irritable ou obésité.

LE PRINCIPE DE LA TRANSPLANTATION FÉCALE
La transplantation fécale consiste ainsi à transférer ce microbiote intestinal d’une personne saine à une personne malade afin de restaurer un équilibre rompu. Concrètement, des matières fécales qui ont aujourd’hui le statut de médicament en France, un comble ! sont prélevées chez un donneur, après une batterie de tests (voir encadré), puis préparées avant d’être instillées au patient. Plusieurs voies d’administration sont envisageables : soit par une sonde insérée dans le nez et dirigée jusqu’à l’intestin (naso-duodénale), par coloscopie (une sonde est alors introduite au niveau de l’anus) ou par lavements. Pour faciliter la mise en œuvre de cette pratique, des banques de selles ont ouvert leurs portes. À l’image des banques de sang ou de sperme, elles collectent et traitent les échantillons avant de les envoyer aux structures de santé qui en ont besoin. La première du genre à but non lucratif, Openbiome, a vu le jour aux États-Unis en 2012. Et pour encourager les dons et détendre l’atmosphère, le personnel ne manque pas d’imagination pour affubler les volontaires de surnoms, basés sur des jeux de mots autour de «poop/poo» («caca», en anglais) : King of the poop, Super pooper, Winnie the poo… Tout récemment, un autre établissement de ce type a ouvert aux Pays-Bas, facilitant ainsi le développement de cette méthode et la recherche scientifique qui l’accompagne.

 

LE DONNEUR IDÉAL
Pour éviter le risque de transmission de maladies ou de parasites lors de transplantation fécale, le donneur est âprement sélectionné.
Le profil idéal est le suivant :

  • Un âge compris entre 18 et 65 ans
  • Un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 30 (c’est à dire non obèse)
  • Une absence de pathologies chroniques
  • Une absence de traitement curatif au long cours
  • Une absence de prise d’antibiotiques dans les 3 mois précédant le don
  • Une absence de séjour à ‘l’étranger dans les 3 mois précédant le don
  • Une absence de résidence de plusieurs années en zone intertropicale
  • Une absence d’hospitalisation à l’étranger dans les 12 derniers mois précédant le don
  • Une absence de troubles digestifs à type de diarrhée aigüe ou chronique dans les 3 mois précédant le don
  • Une absence d’antécédents de fièvre typhoïde
  • Un aspect normal des selles (selles moulées, ne comportant pas de pus, de sang ou d’urine)
  • Un dépistage négatif d’agents infectieux

COMBATTRE LA BACTÉRIE CLOSTRIDIUM DIFFICILE
Aujourd’hui, la principale indication de la transplantation fécale est une infection bactérienne impliquant Clostridium difficile. Celle-ci se développe généralement chez des patients qui ont suivi des traitements antibiotiques. Si ces médicaments combattent les bactéries pathogènes, ils détruisent également les microbes bénéfiques, ce qui laisse le champ libre à C. difficile pour coloniser les lieux. Le microbe provoque alors de la fièvre, des nausées, des diarrhées et douleurs intestinales… L’inflammation de l’intestin qu’elle entraîne, la colite pseudo-membraneuse, peut même conduire au décès dans les cas les plus extrêmes. Elle est particulièrement redoutée en milieu hospitalier où elle peut facilement se propager chez des patients déjà affaiblis. Et pour la combattre, le traitement classique repose sur l’administration… d’antibiotiques ! Cette méthode ne fait qu’accroître le déséquilibre microbien, et le taux de rechute est élevé (au moins 1 patient sur 5) et augmente à chaque nouvel épisode de la maladie car la bactérie devient de plus en plus résistante. Plusieurs équipes de recherche se sont ainsi intéressées à l’option de la transplantation fécale pour traiter cette maladie et les résultats sont spectaculaires : jusqu’à 90 % des personnes sont guéries ! Une étude a comparé à cette méthode le traitement classique à base d’antibiotique, la vancomycine en l’occurrence, avec des chiffres éloquents : la transplantation fécale est efficace dans 81% des cas avec une seule administration, 94 % des cas avec deux, contre seulement 31% au mieux pour l’antibiotique. Pour s’assurer de bénéfices durables dans le temps, des patients ont été suivis pendant environ 5 mois après avoir bénéficié de cet acte. La composition de leur microbiote a évolué au fil du temps – tout comme celle des donneurs – mais est restée saine. Longtemps considérée comme une méthode alternative de dernier recours, elle acquiert grâce à ces suc- cès une légitimité qui a conduit le Collège américain de gastro-entérologie à la recommander officielle- ment comme traitement des infections à C. difficile.

DES BACTÉRIES QUI FONT PRENDRE DU POIDS
L’histoire d’une américaine de 32 ans traitée par cette méthode pour endiguer une infection à C. difficile a suscité des remous au sein de la communauté scientifique. Cette jeune femme a contracté la bactérie suite à la prise d’antibiotiques pour un problème gynécologique. Les médecins ont tenté de l’éradiquer avec trois traitements successifs (à base de métronidazole, puis de vancomycine et enfin de rifaximine associée à Saccharomyces boulardii (Ultra levure), une levure aux effets bénéfiques sur l’intestin), mais les symptômes n’ont régressé que ponctuellement pour revenir de plus belle. Il est alors décidé de tenter une transplantation fécale, qui la guérit enfin. Mais après l’intervention, les kilos commencent à s’accumuler. Seize mois plus tard, la patiente, qui avait toujours eu un poids stable, est devenue obèse… Comme la donneuse, qui n’était autre que sa propre fille ! Ce lien entre microbiote et excès de poids commence à être bien connu. Chez les personnes obèses, la diversité des populations bactériennes est plus limitée que chez les personnes de poids standard. Récemment, une étude a porté sur 4 paires de « vrais » jumeaux (« homozygotes»), dont l’un est mince et l’autre obèse. Les chercheurs ont prélevé les bactéries composant la flore intestinale de chacun et l’ont administrée à des souris complètement vierges de tous microbes. Nourries avec la même alimentation, les cobayes qui ont reçu le microbiote des sujets obèses sont devenus obèses, tandis que le poids des autres est resté stable. Ainsi, en fonction de la nature des bactéries présentes dans l’intestin, le métabolisme de l’hôte varie. Pour compléter l’étude, les chercheurs ont ensuite placé des souris minces et obèses dans une même cage, au profit de ces dernières : elles ont perdu du poids. Ce qui suggère un transfert de bactéries de l’une à l’autre. Par quel moyen ? Grâce à une habitude peu ragoûtante observée chez différentes espèces animales : la coprophagie, c’est à dire le fait de consommer certaines déjections. Voilà de quoi éclairer les raisons de ce comportement ! La réussite de ce transfert était cependant soumise à une condition : que l’alimentation ne soit pas trop grasse ; en cas de déséquilibre nutritionnel, les bénéfices potentiels sont annulés. Un essai clinique visant à observer les résultats de transfert de microbiote de personnes minces à obèses est en préparation à l’hôpital général du Massachusetts. Il apportera d’ici quelques mois de nouveaux éléments pour déterminer si cette méthode pourra à l’avenir être envisagée comme un moyen de traiter l’obésité.

UNE VARIÉTÉ DE MALADIES À TRAITER
Mais la liste des indications de la transplantation fécale pourrait ne pas se limiter à la lutte contre Clostridium difficile et contre l’obésité. Elle est envisagée comme approche thérapeutique dans le cadre de pathologies très variées, associées à un déséquilibre de la flore intestinale : les maladies inflammatoires du côlon, le syndrome de l’intestin irritable, les cancers coliques, le diabète, les syndromes métaboliques, les maladies auto-immunes ou cardiovasculaires… et peut-être même des troubles d’ordre neurologique. Récemment, une équipe de recherche de l’université d’Helsinki, en Finlande, a montré que le microbiote de patients atteints par la maladie de Parkinson présente une quantité réduite de bactéries de la famille des Prevotellaceae. Par ailleurs, les malades souffrant de troubles sévères de l’équilibre et de difficultés à marcher abritent une plus grande population d’une autre famille bactérienne, les Enterobacteriaceae. Ces caractéristiques pourraient ainsi être utilisées comme moyen de diagnostiquer l’affection, mais laissent également entrevoir de nouvelles options thérapeutiques. L’autisme a également été associé à des perturbations du microbiote, et des souris atteintes par ce trouble ont vu leurs symptômes s’améliorer après administration d’une bactérie intestinale humaine, Bacteroides fragilis. Autant de pistes prometteuses qui restent à explorer plus précisément.

VERS DES MÉTHODES MOINS INVASIVES
La transplantation fécale est à ce jour considérée comme une méthode d’administration des bactéries intestinales invasive. La coloscopie, par exemple, demande une préparation préalable assez désagréable, conjuguant un régime alimentaire particulier pendant quelques jours, une « vidange » de l’intestin et une anesthésie générale. Ainsi, des chercheurs étudient la possibilité d’administrer le microbiote directement sous forme de capsule, utilisant des extraits préalablement congelés pour allonger leur durée de conservation. Les résultats d’un premier essai se sont révélés concluants, avec un taux de réussite de 90 % lors d’un traitement contre C. difficile. Une option à la fois plus facile à mettre en œuvre mais également moins coûteuse. En parallèle, une équipe canadienne est récemment parvenue à isoler 33 espèces de bactéries bénéfiques des selles d’un donneur et à les administrer à deux patients atteints par la bactérie pathogène. L’intervention s’est soldée par la guérison de ceux-ci.

FAIRE LA TRANSPLANTATION SOI-MÊME !
Le problème de la transplantation fécale est qu’elle est aujourd’hui mise en avant comme technique médicale moderne et que son coût est élevé. C’est oublier que la technique a été mise au point par la médecine traditionnelle chinoise ! En réalité, il n’est aucunement nécessaire de passer par la case « hôpital » pour faire une transplantation de matières fécales (TMF). Aux États-Unis, plusieurs associations militent pour la libération et la libre information sur cette technique. Ces associations dévoilent un mode d’emploi très précis pour effectuer la TMF hors milieu hospitalier. La transplantation s’effectue ainsi : La préparation de votre organisme : • Deux semaines avant le jour J, commencez un régime pauvre en fibres • Le jour précédant la TMF, vous pouvez nettoyer votre intestin en jeûnant et en prenant des laxatifs • Si vous prenez des antibiotiques ou des médicaments anti-infectieux, cessez votre traitement 24h (si vous nettoyez votre intestin) ou 48h avant l’intervention. Les autres traitements peuvent être poursuivis. Organisez le lieu où va se dérouler la TMF : • Idéalement la salle de bain : dans la baignoire, ou à défaut, au sol sur une serviette • Mettez à disposition les éléments nécessaires pour nettoyer : papier toilette, serviettes… • Installez un sac à lavement, que vous accrocherez au mur à une hauteur adaptée (il doit se trouver à 30 ou 40 cm au-dessus de vous lorsque vous serez en position). Cette option permet de profiter de l’effet de la gravité pour instiller la solution dans votre intestin. Il est préférable de tester le matériel préalablement, avec de l’eau distillée uniquement, pour se familiariser avec son usage. La collecte de l’échantillon : • Le choix du donneur est bien sûr crucial (voir encadré «le donneur idéal») • L’échantillon de selles est recueilli dans un récipient plastique alimentaire propre, ou dans un sachet zippé • S’il fait froid, il peut être maintenu à température corporelle grâce à un contenant pouvant supporter un maintien d’une chaleur proche de la température corporelle (immersion dans du contenant étanche dans l’eau chaude). • Il ne doit pas se passer plus de 2 ou 3 heures entre le prélèvement et son utilisation (il existe toutefois une méthode qui consiste à congeler l’échantillon). La préparation de la solution à instiller : • Les selles doivent être dissoutes dans de l’eau distillée. Deux options sont possibles : soit de l’eau distillée seule, soit de l’eau distillée salée. • Faites tiédir l’eau distillée ; ajoutez éventuellement, selon l’option retenue, 1⁄4 de cuillerée à café de sel (sans additifs) par tasse d’eau. • Il faut ensuite mixer les selles et l’eau, soit en malaxant l’ensemble à travers le sac en plastique zippé, soit en utilisant un blender. La première méthode est plus douce et altère moins l’échantillon mais nécessite un contact plus étroit. • Ajustez la quantité d’eau pour avoir la consistance idéale, ni trop liquide, ni trop épaisse. • Remplissez le sac à lavement. Le déroulement de la transplantation : • Allongez-vous sur le côté, avec un coussin sous le bassin pour le rehausser • Insérez la canule du sac à lavement au niveau de votre rectum. N’hésitez pas à utiliser un lubrifiant pour réduire l’inconfort. • Actionnez le dispositif d’ouverture et laissez la solution s’écouler. L’opération ne doit pas être douloureuse. • Stoppez ensuite l’écoulement et restez allongé(e) 10 minutes sur le côté, puis sur le ventre, et enfin de l’autre côté, tout en massant doucement votre abdomen. • Essayez de garder la solution le plus longtemps possible ; mais ce n’est pas un problème si vous perdez de petites quantités.

Céline Sivault